C'est en constituant ce classement que je me suis rendu compte d'une chose fondamentale : les années 90 ont été une putain de bonne décennie. Tout du moins au niveau du rock (et du rap). Elles ont été d'une richesse inouïe, les années 80 et 2000 se situant tout compte fait assez loin derrière.
Les 90's ont en fait été une sorte de carrefour, où l'on retrouvait pèle-mêle les descendants des Pixies et de Dinosaur Jr en l'espèce de toute cette scène indie rock ultra-cool (Pavement Weezer, Sebadoh,...), des ovnis totalement illuminés et carrément brillants donnant le meilleur d'eux-mêmes (Sparklehorse, Beck, Magnetic Fields, Radiohead, Primal Scream, Daniel Johnston...), des bardes folks passionnants (Vic Chesnutt, Will Oldham, Elliott Smith, même Ben Harper), quelques mastodontes pas encore devenus grotesques (Oasis, Red Hot, RATM,...), des groupes space-rock publiant de véritables symphonies (Spiritualized, Mercury Rev, Air, Flaming Lips, Grandaddy,...), etc...
Tout cela en une décennie qui comptait également les plus grandes oeuvres rapologiques, pas détaillées ici.
Il est donc peu dire qu'il fut incroyablement difficile d'établir ce classement, qui s'apparenta à un dilemme sans fin.
Voici donc, d'après moi, les 20 meilleurs albums des années 90:
1. Sparklehorse - Vivadixiesubmarinetransmissionplot
Le premier album de Mark Linkous était un chef-d'oeuvre. Un coup de maître, d'entrée. Publié en 1995, épaulé par David Lowery à la production et les amis de Cracker à l'exécution, ce disque avait été très bien accueillit par la critique mais plus discrètement par le public; aucun succès mainstream ne suivrait même si une base de fans fidèles s'était formée.
A l'instar de cette pochette, poétique et mystérieuse, la musique de Sparklehorse intrigue et charme l'oreille avec un savoir-faire inouïe. Presque tout ce qui fera la singularité du cheval étincelant est déjà présent ici.
Il y a cette schizophrénie incroyable entre les ballades belles à pleurer, telle l’immaculée Most Beautiful Widow In Town, les douces et mélancoliques Sad & Beautiful World et Heart Of Darkness, la lumineuse Saturday ou les sombres Spirit Ditch et Homecoming Queen, toutes ces perles mélodiques invraisemblables, et les violentes, saturées et hédonistes Hammering The Cramps, Rainmaker ou Someday I Will Treat You Good, des réminiscences superbes du meilleur de l'indie rock de l'époque, Pixies en tête. Et là on ne parle même pas de l'immense Cow...
Au gré d'un univers particulièrement habité et d'un disque très imagé, on finit transporté par cet album d'une cohérence impeccable, à la production particulièrement virtuose. Voilà un de ces rares disques qui laisse pour toujours une trace indélébile en soi, un de ces disques pour lesquels on nourrit une affection infinie, qu'on voudrait garder pour l'éternité à soi tout seul, comme un secret formidable, beau et mystérieux à jamais protégé du regard désapprobateur de la foule ignare.
Sad & Beautiful World
Most Beautiful Widow In Town
Cow
2. Daniel Johnston - 1990
Voici ce qui pourrait être l'un des tout meilleurs albums du songwriter fou, Daniel Johnston, ce génie invraisemblable. Auteur dans les années 80 d'innombrables chefs-d'oeuvres très mal enregistrés sur des cassettes à la qualité sonore déplorable (on appellera ça plus tard "Lo-fi"), Johnston s'était vu offrir les services de maître Kramer à la fin des années 80 pour enregistrer un album à New York, puisque celui-ci, en pleine crise de nerfs à l'époque, était de visite à Big Apple sous l'impulsion de ses amis de Sonic Youth.
Particulièrement possédé, persuadé de la présence du Diable partout où il va, Johnston est alors très difficile à capter. Kramer va devoir se contenter de quelques visites en studios, et de lives édifiants enregistrés ci et là, où l'on entends Johnston hurler à l'assistance de "sortir Satan de leur vie" où encore leur demander de reprendre joyeusement en choeur les paroles très sombres de Funeral Home.
Certains parlent de gospel mortuaire, désespéré, gothique et profondément dérangé, d'autres d'art brut.
Quoi qu'il en soit, ce disque, qui devait s'appeler 1989 à l'origine, est un très très grand album, une plongée éprouvante dans l'univers maniaco-dépressif de Johnston, dans lequel on trouve certaines des chansons les plus tristes et les plus sublimes qu'il nous ait été donné d'entendre dans notre existence.
Il suffit d'entendre Some Things Last A Long Time retentir pour se dire qu'on est définitivement en présence de quelque chose d'incroyablement plus fort et plus profond que tout le reste. On ressent l'immédiate honnêteté qui prends à la gorge, on sent que la chanson compte pour son auteur, qu'il pèse chaque mot prononcé, on sent quelque chose de vital, qui devait sortir, malgré toutes les douleurs que cela impliquait pour son géniteur.
Some Things Last A Long Time
True Love Will Find You In The End
Held The Hand
3. Sparklehorse - Good Morning Spider
Ce deuxième opus de Sparklehorse est encore et toujours un bijou. Comment faisait-il? 4 albums, 4 perles intemporelles, remplies de mélodies et de mélancolies. Ici, à l'exception de Saint Mary, dédiée aux infirmières qui s'occupèrent de lui pendant sa convalescence, les chansons ont toutes été composées avant le fameux accident dont Linkous sera victime (overdose, mort clinique durant quelques instants, puis chaise roulant pendant près d'un an).
On y sent une joie apaisée et bienheureuse sur certains titres lumineux (les magnifiques Sunshine et Junebug), une violence vicieuse sur d'autres (Pig), une mélancolie jazzy sur Painbirds, plus diffuse et souterraine sur l'introduction de Happy Man (Chaos Of The Galaxy), on y préfigure Grandaddy (l'électronique Ghost Of His Smile), on y reprend Daniel Johnston (Hey Joe)...
On a à faire à un superbe recueil de chansons toutes plus grandes les unes que les autres, incroyable de variété, qui continue à tisser l'univers de Sparklehorse de sublime manière. Les mélodies y sont légions et la production est encore une fois ultra précise et détaillée, fourmillant d'idées passionnantes.
Sunshine
Ghost Of His Smile
Saint Mary
4. The Magnetic Fields - 69 Love Songs
Ayant déjà évoqué à plusieurs reprises les mérites de ce monument dans ce blog, je vais tenté de ne pas m'y étendre à nouveau... Mais tout de même. On est présence ici d'une oeuvre carrément hors-norme (69 chansons!), et d'un compositeur au talent fou. Stephin Merritt, ce vieux misanthrope espiègle, sait composer comme Buddy Holly, Burt Bacharach ou Scott Walker, et chanter comme un sublime ténor désabusé.
La collection de mélodies superbes présentes ici est incroyable, et les instrumentations, toujours parfaitement arrangées et on ne peut plus variées, manient avec une égale élégance l'orchestre à cordes et le ukulélé. Et puis on (re)découvre avec une immense joie les paroles pleines d'humour et de sarcasmes de Merritt, et ces chansons rocambolesques qui émeuvent plus que de raison, à l'instar de la définitive All My Little Words.
All My Little Words
Book Of Love
I Think I Need A New Heart
5. Spiritualized - Ladies And Gentlemen We Are Now Floating In Space
Eux on les avait déjà mentionné, mais jamais évoqué concrètement. Voilà donc l'occasion parfaite. Spiritualized, l'oeuvre de Jason Pierce, ex-moitié de Spacemen 3, a tout du fantasme musical. L'album présenté ici sous la forme d'une boîte de médicament est une vraie prescription contre la morosité ambiante. Un disque planant, rêveur, grandiloquent, imaginatif, jamais à cours d'idées, beau et triste en même temps...
Appuyé par le London Community Gospel Choir et le Balanescu Quartet, le son de l'album est gigantesque, démentiel, orchestral. Une folie des grandeurs qui aurait pu faire de cet album un truc pompeux et prétentieux, mais il n'en est rien. Les mélodies sont belles à pleurer, et notre J Spaceman narre entre autres sa rupture difficile avec Kate Radley, partie définitivement dans les bras de Richard Ashcroft, auteur avec The Verve d'un très beau disque la même année. Le propos est donc hautement émotionnel et la musique radicalement divine.
On tient bien ici le meilleur album de 1997, comme l'avait déclaré le NME à l'époque, devant OK Computer ou Urban Hymns.
Ladies and Gentlemen We Are Now Floating In Space
Broken Heart
Cool Waves
6. Pavement - Crooked Rain, Crooked Rain
Le groupe le plus cool de la décennie a certainement publié son meilleur disque avec son deuxième album, paru deux ans après l'excellent Slanted Enchanted et un an avant le jouissif Woowee Zoowee. Comme il est très dur d'élire un seul album de Pavement, chacun contenant son lot de chansons éternelles et de trucs plus discutables, on peut d'ores et déjà déclarer que si les meilleurs titres du groupe parus dans les 90's avaient été un peu plus concentrés sur un album, celui-ci aurait facilement pu briguer la place de meilleur album de la décennie. Quoi qu'il en soit, ce Crooked Rain ici présent est en l'état déjà une pépite incroyable.
Citer le titre Gold Soundz devrait suffire, mais les gens sont difficiles à convaincre aujourd'hui, toujours méfiants, alors on parlera aussi de la sublime Cut Your Hair, de la rêveuse/branleuse Heaven Is A Truck, de la définitive Range Life, et de la sublimissime Fillmore Jive...
Des chansons pop, mélodiques, décontractées et biscornues, résumant à elles seules une certaine idée de la classe version indie rock dans les années 90. Un groupe fulgurant.
Gold Soundz
Cut Your Hair
Fillmore Jive
7. Oasis - Definitely Maybe
Pour devenir la machine de guerre qu'elle est devenue, la bande des frères Gallagher a du prouver de quoi elle était capable. Et l'Angleterre du milieu des années 90's su entendre le message. Par la foi de ce premier album, l'un des plus parfaits premiers albums de toute l'histoire du rock, Oasis mettait tout le monde d'accord, indie, rock mainstream, pop,...
Jouant plus fort, ayant plus de classe, plus de morgue et d'arrogance, plus d'ambition, plus de mélodies, plus de chansons, plus de scandales, Oasis était un vrai fantasme rock'n'roll comme on en avait plus eu depuis bien longtemps. Si par la suite le groupe alternera entre des choses grotesques et d'étonnantes fulgurances, le gang de Manchester était en tout cas impérial sur ce Definitely Maybe.
Des chansons les plus profondes, pleines de sens et admirablement construites - comme Live Forever, son solo existentiel et sa fin qui tourne au tragique ou Slide Away, l'une des plus belles et des plus épiques chansons d'amour de l'histoire - on passe en un clin d'oeil aux moments rock'n'roll les plus jouissifs. La crâneuse Cigarettes & Alcohol résume par exemple à elle seule l'amour inhérent de la working class et des hooligans du genre des deux frères pour la drogue et l'alcool, seules échapatoires pour une génération désenchantée, sacrifiée par une décennie de Tatcherisme : "You could wait for a lifetime to spend you days in the sunshine. You might as well do the white line. (...) It is worth the aggravation to find yourself a job when ther's nothing worth working for."
Ce disque est l'occasion aussi de découvrir l'une des plus grandes rockstar moderne, Liam Gallagher et sa voix alors parfaite, et l'un des songwriters les plus talentueux de sa génération, en la personne de son frère, Noel, qui achèvera tout le monde par une ballade acoustique parfaite, Married With Children. Bref, un très grand disque rock.
Live Forever
Slide Away
Cigarettes & Alcohol
8. Primal Scream - Screamadelica
Paru en 1991, année faste pour le rock'n'roll, le troisième album des protégés d'Alan McGee est d'ores et déjà entré dans l'histoire, que ça vous plaise ou non.
Tout d'abord, on le sait, ce mélange alors inédit de rock et d'acid house, rythmes dance flirtant allègrement avec les choeurs soul et les riffs Stonien, fera des émules un peu partout dans le monde. On est loin du succès interplanétaire de Nirvana, mais on a quand même atteint ici quelque chose de générationnel. Car cet album sera celui d'une certaine jeunesse. A l'instar des groupes Madchester, Primal Scream fait partie de cette jeunesse désœuvrée de la fin des 80's pour qui les nuits en boîte ou en rave, gavés d'ecstas jusqu'au délire total, ont au moins autant d'importance que la musique elle-même. L'esprit est parfaitement résumé dans le sample d'ouverture de la légendaire Loaded par les saintes paroles de Peter Fonda dans Wild Angels (film culte de 1966): "-Just what is it that you want to do? -We wanna be free to do what we want to do... And we wanna get loaded... That's what we're gonna do. We gonna have a good time... We gonna have a party!!!"
Le contenu du disque fait d'innombrables références aux drogues, qui catalysent ici les rêves et les fantasmes les plus fous, embarquant la bande de Gillepsie dans un énorme trip psychédélique hautement recommandable. Un groupe et un disque légendaires.
Movin' On Up
Come Together
Higher Than The Sun
9. Radiohead - OK Computer
Karma Police
No Surpises
Lucky
10. Eels - Electro-Shock Blues
Last Stop: This Town
Elizabeth On The Bathroom Floor
The Medication Is Wearing Off
11. Air - Moon Safari
La Femme d'Argent
Sexy Boy
Kelly Watch The Stars
12. Elliott Smith - Either/Or
Angeles
Between The Bars
Say Yes
13. The La's - The La's
There She Goes
Son Of A Gun
Looking Glass
14. Blur - Parklife
This Is A Low
End Of A Century
Parklife
16. Sebadoh - Bakesale
Magnet's Coil
Rebound
Skull
17. The Brian Jonestown Massacre - Give It Back!
Servo
The Devil May Care (Mom and Dad Won't)
Satellite
18. Rage Against The Machine - Rage Against The Machine
Killing In The Name
Bombtrack
Bullet In The Head
19. Modest Mouse - The Lonesome Crowded West
Trailer Trash
Polar Opposites
Doin' The Cockroach
On aurait pu aussi parler de : Teenage Fanclub (Bandwagonesque, Grand Prix), Spacemen 3 (Recurring), Nirvana (Nevermind, In Utero), My Bloody Valentine (Loveless), The Red Hot Chili Peppers (Blood Sugar Sex Magic, One Hot Minute), Dinosaur Jr (Green Mind, Where You Been), The Dandy Warhols (Come Down), Pavement (Slanted and Enchanted, Woowee Zoowee), Weezer (Blue Album, Pinkerton), Ben Harper (Welcome To The Cruel World, Fight For Your Mind), Vic Chesnutt (About To Choke), The Brian Jonestown Massacre (Take It From The Man, Thank God For Mental Illness), Mercury Rev (Deserter's Songs), The Flaming Lips (The Soft Bulletin), Grandaddy (Under The Western Freeway), Bonnie Prince Billy (I See A Darkness), Blur (The Great Escape, 13, Blur), The Verve (Urban Hymns), Supergrass (I Should Coco), Oasis ((What's The Story) Morning Glory?).
Je viens de découvrir votre blog, cherchant à écrire le top 10 de mes albums préférés écoutés "lors leur sortie" (genre pas Sgt Pepper, ni London Calling...). Sparklehorse en fait partie, Elliot Smith aussi (et précisément ces albums là). J'avoue que les albums de Pavement ou Sebadoh présentés ici sont également mes préférés. A croire que l'on aurait écouté de la musique ensemble dans les années 1990...
RépondreSupprimerEnguerran
même chose ...j'aurais juste rajouté le Vauxhall and I de Morrissey..mais en tant que fan du moz et des smiths...je ne suis pas vraiment objectif..
RépondreSupprimerEtienne
PS: tres bon blog