Voilà un rapide retour sur la pop jouissive d'un des groupes qui s'est révélé après coup l'un des plus influents des années 90, Pavement, et la trajectoire de l'illuminé à la tête du groupe, Stephen Malkmus, auteur de quelques albums passionnants après la dissolution de la bande à la fin des 90's.
Ce groupe phénoménal n'a jamais eu le succès qu'il méritait dans les 90's, et comme si le monde cherchait à s'excuser de cette erreur historique, tout le monde semble redécouvrir avec joie ce groupe réjouissant...
Et puis côté comportement, le temps a fait son oeuvre ; Oasis, les Strokes ou les Arctic Monkeys sont passés par là et ont popularisés ce je-m'en-foutisme affiché en règle de vie, sur scène comme dans le civil... L'attitude très "branleur" de Pavement, qui avait quelque peu choquée à l'époque (pourtant pas en reste d'énergumènes du genre (cf.: Lou Barlow, J. Mascis,...)), parait du coup mieux acceptée du public actuel.
Histoire de mieux comprendre de quoi on est entrain de parler, le live de Pavement au Tonight Show en 1994 :
Pavement - Cut Your Hair (Live)
Il faut tout de même rappeller l’accueil plus que glacial réservé à Pavement lors, entre autres, du festival Loolapalooza, cette incompréhension généralisée entre deux mondes qui n'ont rien en commun. D'un côté Nirvana, Sonic Youth ou les Smashing Pumpkins braillant leur "mal-être", leur "anti-conformisme", brandissant très fièrement leurs douleurs de poètes maudits des temps modernes, le tout devant des dizaines de milliers de fans hurlant et bavant devant leurs idoles...
Et puis de l'autre côté Pavement. Un humble groupe indie aux faux airs amateurs, pourtant très compétents dans le troussage de mélodies alambiquées, qui charmaient avec des chansons pop passionnantes, pas prises de têtes pour un sous. Pavement était un groupe de anti-héros, des anti-héros certes très "cools", mais peu préoccupés par leur image et peu enclin à prendre au sérieux quoi que ce soit qui ait un rapport quelconque avec le rock ou la musique en règle générale.
Pavement - Gold Soundz
Pavement - Here
Sur scène, les autres étaient tout de Converse vêtus, les jeans étaient soigneusement déchirés et les attitudes détachées puaient l'artificiel... Ces types n'étaient pas comme nous, ils n'avaient pas l'air normaux, ils avaient l'air de faire des efforts incroyables pour paraitre "originaux", "décalés" ou "alternatifs". Malkmus et ses acolytes, eux, ne faisaient pas semblant, ils ne faisaient aucun effort, ils savaient rire de tout ce cirque et d'eux-mêmes. Ils arrivaient en short sur les plateaux télés, portaient des bobs ridicules et des chemises trop larges...
Tout l'art et la philosophie de Pavement pourraient en fait être résumés par une chanson : leur célèbre Range Life : "Je voudrais une vie rangée...Si je pouvais me poser, je me poserai...". C'est très honnête, et c'est tout l'inverse de cette existence si rock'n'roll promue férocement par Kurt ou Thurston...
Ici on a faire à des types normaux, et c'est hallucinant à quel point ça peut faire du bien de s'identifier à ceux qui chantent pour nous. Et Malkmus de continuer : "En tournée avec les Smashing Pumpkins (...) Je capte pas ce qu'ils veulent dire... Comme si j'en avais quelque chose à foutre". On peut aussi citer la célèbre réplique de Malkmus lors d'un concert de son groupe : "Je n'ai rien contre la musique des Smashing Pumpkins. C'est juste personnel...". Voilà c'est dit. Pavement sont les anti-Smashing Pumpkins. C'est l'anti-grandiloquence. Pavement est la normalité, pas sa glorification, simplement un groupe qui compose des chansons à taille humaine. Regarder des émissions débiles à la télé, admirer un coucher de soleil, rêver de la fille idéale en fumant un joint en cachette... Des choses aussi banales qu'essentielles.
Pavement - Range Life
Pavement - Spit On A Stranger
Mais loin de se résumer à un manifeste idéologique sur le rock, la musique de Pavement était d'un niveau d'écriture incroyable. Stephen Malkmus est un grand compositeur pop, de la race de ceux qui ne viennent que par 3 ou 4 par décennies. "Cut Your Hair", "Gold Soundz", "Spit On A Stranger", "Here", "Shady Lane", "Major Leagues", "Carrot Rope",... On ne compte plus les mélodies intégralement parfaites disséminées par Pavement tout au long de 5 albums passionnants publiés par le groupe dans les années 90. Le monde avait beau passer du grunge à la brit-pop, des boys-bands à la musique techno, les chansons de Pavement restaient égales à elles mêmes : pas identiques, mais toujours authentiques et honnêtes.
Pavement - Shady Lane
Certains prétendent que les deux dernières galettes sont bien inférieures aux 3 ouvrages précédents.. Pas forcément vrai : les derniers albums sont peut-être moins spectaculaires, mais ils sont toujours aussi agréables à écouter que les précédents. Sur Slanted and Enchanted, de 1992, et Crooked Rain, Crooked Rain, datant de 1994 (certainement le meilleur disque du groupe), Pavement alterne la pop indie et le rock alternatif plus bruitiste, les chansons les plus calmes succédant aux rages électriques de Malkmus, qui comme chez les collègues des Pixies, aime casser les ambiances, rendre la copie imparfaite et du coup parfaitement attachante...
Les coups de génies sont légions en même temps : on parle quand même de perfections pop de la trempe de ce Gold Soundz divin... On sent que ces jeunes hommes ont écoutés les Replacement et The Fall, les Pixies et Teenage Fanclub... Les influences sont bonnes, la guitare est distordue juste comme il faut, le son est légèrement lo-fi et laid-back, mais pas trop non plus, et puis il y a cette voix de Stephen Malkmus... Un dérapage contrôlé permanent, quelque chose de jouissif qui tient en équilibre de manière totalement miraculeuse, exactement comme la musique de ce groupe... Un savant équilibre entre le comportement branleur et le réel savoir-faire mélodique, comme l'impression de parvenir à la beauté sans faire aucun effort. Un miracle vous dit-on.
Pavement - Summer Babe
Pavement - Major Leagues
En 1995, un an après l'extrèmement bon Crooked Rain, Pavement sort le double-album Woowee Zoowee, à l'éclectisme désarmant, alliant expérimental, country, hard-rock et pop sans aucune concessions. Désormais entre Beck et Pixies, nos indie rockers favoris publient un grand album, le préféré de certains critiques, surtout en France. On retiendra de ce disque peu de gros singles, mais certains titres fascinants, comme le très aérien Grounded ou l'ultra-cool Grave Architecture.
Pavement - Grounded (Live)
Pavement - Grave Architecture
Et puis, sur Brighten The Corners (1997) et Terror Twilight (1999), l'ensemble est légèrement moins dynamique, mais quelques grandes chansons rappellent que la flamme est encore là, bien lumineuse, comme avec ce Carrot Rope on ne peut plus jouissif.
Pavement - Carrot Rope
En 1999, le groupe se sépare mais Makmus poursuit sa route en solo ou accompagné de son groupe, les Jicks, pour un son et des chansons toujours fidèles à l'esprit Pavement. L'âge venant, les compositions deviennent un peu plus sérieuses, tout comme Malkmus, tout comme les gens normaux avec l'âge... Les albums sont bons et des coups de génies éparses existent encore, comme avec ces deux chansons issues de l'album Real Emotional Trash, publié avec les Jicks en 2008, interprétées ici en live pour la blogothèque. Très charmant... :
Stephen Malkmus - We Can't Help You (Live)
Stephen Malkmus - Hopscotch Willie (Live)
Sur son dernier album, Malkmus ravive encore un peu plus la flamme : publié cette année, ce nouveau disque avec les Jicks, intitulé Mirror Traffic, resplendit comme un bon album des Pavement de la fin des années 90. Ce Tigers rappelle en tout cas de biens beaux souvenirs, ceux d'un groupe jadis largement au dessus de la masse, récemment reformé pour une courte et rémunératrice tournée, et dont le souvenir ne cesse de nous hanter... Pavement, for ever and ever.
Stephen Malkmus & The Jicks - Tigers
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