samedi 21 novembre 2015

The Beatles - Revolver



Revolver est, sans aucun doute, l'un des 4 meilleurs albums des Beatles (avec Sgt. Pepper, le White Album et Abbey Road), et par bien des aspects mon disque préféré de la bande de Liverpool.
En 1966, les Beatles ont pris une décision fracassante qui, on le découvrira plus tard, changera le cours de l’histoire de la musique. C’est décidé, les Beatles ne souhaitent plus donner de concerts. Plus jamais ! Consternés par les évènements survenus en Philippines, dégoûtés et épuisés par les tournées marathons, submergés par l’hystérie des fans qui couvrent toute tentative du groupe de se faire entendre, les Beatles sont arrivés à la fin d’un cycle. La bonne nouvelle est que désormais, le groupe est libre de composer ce qu’il veut. Forts de leurs statuts de superstars, ils se voient libérés de toute barrière artistique, n’ayant plus à reproduire en live ce qu’ils enregistrent, et se permettent ainsi de squatter les studios d’Abbey Road jours et nuits.

Et alors que Rubber Soul montrait déjà des signes novateurs, en cassant, sur certaines chansons, le style léger que s’était forgé le groupe, Revolver passe à une vitesse radicalement supérieure, boosté par ce sentiment de liberté créatrice.

Le Tomorrow Never Knows de Lennon est à ce titre une rupture stupéfiante avec tout ce qu’avait pu faire le groupe avant. Ce collage sonore hautement psychédélique et hypnotique est une véritable prouesse technique, qui n’aurait été possible sans les talents d’un certain Geoff Emerick, le tout nouvel ingénieur du son des Beatles sur ce disque. Celui-ci, contrairement aux vieux pontes d’EMI, ne rechigne jamais à expérimenter des nouvelles choses en studio avec le groupe, laissant libre cours à leurs idées et lubies les plus saugrenues. Emerick parviendra ainsi à retranscrire fidèlement les sons que John et les autres entendaient dans leurs têtes. Pour l’anecdote, Lennon exigea pour Tomorrow Never Knows que sa voix sonne « comme le Dalaï-Lama psalmodiant depuis le sommet d’une montagne lointaine » (!), et fût ravi de ce qu’Emerick parvint à lui pondre.

C’est avec son talent habituel que George Martin réalise quant à lui les arrangements de l’album, comme ceux de l’inégalable Eleanor Rigby écrite par McCartney. Les violons soyeux de l’orchestre et la mélodie d’orfèvre concoctée par Paul sur ce titre, qui interprète sublimement la chanson, sont quasiment ce que les Beatles feront de mieux de toute leur carrière. Quelle classe infinie quand on y repense…

Et le groupe ne se contente pas de ces deux chefs-d’œuvre. Lennon balance l’éternel I’m Only Sleeping, auquel McCartney répond avec les progressions harmoniques incroyables de Here, There, Everywhere, qui préfigure tout ce que feront Elliott Smith et Belle & Sebastian plus tard. Lennon, au sommet de sa forme, réplique avec la fascinante She Said She Said. Mais McCartney fini par faire fondre les tous les cœurs d’artichauts avec la sublime For No One. Lennon est d’humeur plus badine et assène la jouissive And Your Bird Can Sing, missive pop acide et réjouissante dont le destinataire fait encore débat aujourd’hui (McCartney ? Jagger ?).

A cela, il faut ajouter un George Harrison qui s’affirme de plus en plus dans son rôle de compositeur, prenant confiance en lui et creusant la veine indienne initiée sur le disque précédant. Celui-ci accouche du Taxman d’ouverture, au riff de guitare novateur, et y ajoute la très belle Love You To.
Les classiques s’enchainent. Même Ringo s’y met et interprète la drôlissime et absurde Yellow Submarine de Paul, qui sera reprise par tous les pochtrons anglais des décennies durant au cours de longues nuits de beuverie.

A vrai dire, seules deux chansons (sur 14) semblent plus anecdotiques : Doctor Robert et … Et qui sont loin d’être mauvaises. Rendez-vous compte. Quel exploit quand on y repense. 12 classiques en un seul album. Dans l’histoire de la pop, il n’y a pas grand monde en dehors des Beatles qui en a été capable. Réécoutez les classiques : Stones, Beach Boys, Led Zep, Pink Floyd, Hendrix, Dylan, Who, Kinks… Partout il y a des choses à jeter. Vous trouverez peut-être 4 ou 5 albums de ce niveau-là, mais pas plus. Aujourd’hui encore, l’écoute de cet enchaînement magique laisse pantois.

Par bien des aspects, Revolver est le dernier disque qui est placé aussi bien sous l’égide créatrice de Lennon que de McCartney. Sgt. Pepper, le disque suivant, se fera quant à lui sous la direction de Paul, celui-ci rêvant de créer un concept-album parfait (et y parvenant). Un John rageur et complétement accro - à l’héroïne et à sa Yoko - prendra par la suite sa revanche en se comportant en tyran lors de l’enregistrement chaotique de l’album blanc. Paul reprendra finalement les choses en main sur Abbey Road (après l’ignoble interlude de Let It Be), étant le seul Beatles à se préoccuper encore suffisamment du destin des chansons du groupe. Arrivé à ce stade, il sera d’ailleurs difficile de qualifier les Beatles de « groupe », chacun des Fab Four composant et interprétant ses propres chansons de manière complètement indépendante, le tout en prenant un soin particulier à ne jamais se croiser en studio.

Et tandis que des esprits chafouins ne cessent de réévaluer, de façon assez disproportionnée, Rubber Soul, Revolver est bel et bien le disque sur lequel on peut entendre les Beatles à leur sommet, Paul et John se supportant encore suffisamment pour réussir à collaborer ensemble dans l’intérêt supérieur de la musique. McCartney ajoute un pont sur une composition de Lennon, Lennon participe aux paroles d’une chanson de McCartney, et ainsi se construisent les chefs d’œuvre. Si les deux comparses ne composent plus la majorité de leurs chansons ensemble, et montrent déjà quelques signes de tensions inquiétants, leurs egos respectifs sont encore suffisamment maitrisés pour leur permettre de faire avancer les compositions en toute intelligence.

Revolver sera au final un succès considérable. Se détachant définitivement de leur image de « bons garçons » et de « groupe à minettes », les Beatles parviennent encore à vendre et s’affirment alors comme une force créatrice sans égale dans le monde de la musique, laissant Stones et autres Beach Boys sur le bas-côté, incapables de suivre.
Et puis, Revolver explore, expérimente, ouvre des portes. Il montre la voie à une nouvelle génération, tout en parvenant à rester parfaitement mélodique. C’est là un équilibre fragile que très peu de groupes psychédéliques parviendront à atteindre par la suite…

Bref, vive Revolver, et vive les Beatles !