dimanche 30 octobre 2011

Rétrospective : Les 20 meilleurs albums des années 2000

Parce que ça fait plaisir de temps en temps, voici mes classements à la con des meilleurs albums de tout les temps, par décennie. Je sais, je sais, ces tops sont régulièrement ridicules, dépourvus de sens, souvent sans intérêts, et systématiquement sujets à controverse.
Mais force est de constater qu'on prend à chaque fois un malin plaisir à les construire... Et puis ce peut être l'occasion de découvrir quelques trucs sympas...

Ici pas de Yankee Foxtrot Hotel, pas de Kid A, pas de Funeral : en résumé ce n'est pas un top qui a pour but d'être objectif ou de ressembler à tout ceux déjà publiés par Pitchfork, le NME et autres.

Voici donc ma liste, pour commencer, des 20 meilleurs albums des années 2000 (dans le domaine rock et folk s'il fallait préciser) :

1. Sparklehorse - It's A Wonderful Life


L'une des oeuvres les plus sombres et les plus dérangées du cheval étincelant. On est ici très loin des standards radiophoniques, pourtant It's A Wonderful Life est rempli de mélodies radieuses, et ce troisième essai de Sparklehorse fait preuve d'une cohérence fascinante.
Il y a ces ruptures violentes qui font figures d'électrochocs après des longues plages d'apaisement, ces gazouillis électroniques, ces paroles surréalistes à la douce poésie murmurée, tout juste chuchotée, ces vieux violons grandioses qui jouent "comme l'orchestre du Titanic quand le paquebot coulait...", cet univers plein de bébés, de fêtes foraines, d'oiseaux, de mélancolie et d'araignées... Un monde dans lequel se perdre et ne plus jamais se retrouver.
Une musique tellement plus envoûtante que l'immense majorité de ses contemporains que les éventuelles comparaisons en deviennent systématiquement ridicules. Mark Linkous était largement au dessus de la mêlée, c'est un fait indéniable, et ce disque est bien le meilleur à avoir été publié dans les années 2000. Un véritable triomphe artistique, à défaut d'être commercial.

It's A Wonderful Life

Gold Day

Piano Fire


2. Bright Eyes - I'm Wide Awake, It's Morning



Conor Oberst, le très jeune leader de Bright Eyes, avait fait très fort en 2005, et beaucoup de gens ont tendance à l'oublier. En effet, ce jeune pas branleur pour un sous avait sortit simultanément 2 disques d'un niveau hallucinant : le sombre, désespéré et électronique A Digital Ash On A Digital Urn, et le folk et mélancolique I'm Wide Awake, It's Morning, qui trouva un écho particulier auprès de la jeunesse Américaine mal dans sa peau de l'époque.
Cet album est un recueil de ballades immensément chargées émotionnellement, continuellement briseuses de coeur et toujours admirablement écrites. Car Oberst a un réel talent pour composer des chansons de la trempe des Don't Think Twice, It's Alright ou Girl From The North Country du Dylan de la grande époque. Il s'agit bien ici du chef-d'oeuvre du barde de notre génération. Très pessimiste mais appelant à la révolte, honnête, dépouillé mais parfois aussi élégamment accompagné (les trompettes et Emmylou Harris sur la sublime Landlocked Blues par exemple),
Bright Eyes émouvait plus que de raison, et signait alors un album proche de la perfection.

At The Bottom Of Everything

Land Locked Blues

First Day Of My Life


3. The Strokes - Is This It



Si l'album de Bright Eyes ci-dessus était le manifeste des coeurs brisés et des losers, et que celui de Sparklehorse n'était le manifeste de rien du tout, ce premier et dors et déjà légendaire album des Strokes était celui d'une jeunesse résolument cool et rock'n'roll. Cette jeunesse des slims, des Converse, des drogues, de l'alcool et des soirées invraisemblables. Car il faut se rappeler à quel point cet album a marqué. On connait l'histoire. Il sortait de nulle part. Un séisme, une mini-révolution du rock. Le retour de Television, des Ramones et du Velvet. Le come-back de New York et du vrai rock'n'roll. Mais au-delà de tout ces symboles, Is This It était surtout et avant tout un incroyable album débordant de chansons magnifiques, fourmillant d'idées et de mélodies. Ce qu'on oublie souvent.

Last Nite

Someday

Take It Or Leave It


4. Gorillaz - Demon Days


Au delà des gros tubes radio friendly, il y avait dans la musique du deuxième groupe de Damon Albarn une âme. Une âme qui brilla de mille feux sur le deuxième album du "groupe virtuel", Demon Days. On a à faire ici à une oeuvre habitée, invitant au voyage, anticipant un futur sordide fait de violence, de pollution et de drogues. La pop de Gorillaz hésite entre country pour cowboy moderne ("Fire Coming Out Of The Monkey's Head"), pop-electro efficace et envoûtante avec des choeurs bien sentis ("Kids With Guns", "Last Living Souls"), rap impressionnant sur ballade folk désespérément belle ("November Has Come"), rock binaire violent ("White Light") ou complainte mélancolique proche du sublime ("El Mañana"). Le tout étant étonnamment cohérent et constamment beau. Un très grand album.

El Mañana

Kids With Guns

November Has Come


5. Flotation Toy Warning - Bluffer's Guide To The Flight Deck



Là où la pop et l'expérimental se rencontrent, où les grands orchestres pleins de trompettes, de tubas et de violons côtoient des mélodies pop et des paysages tourmentés, se trouve ce groupe bien étrange : Flotation Toy Warning, ce doux ovni. Voilà un groupe qui sort de nul part et publie un album beau à en pleurer, où les "expérimentations" sont plus sentimentales et planantes que longues et chiantes. A l'image de l'albatros de Baudelaire, ce disque à la pochette splendide avait pour destin l'ignorance et le désintérêt, Flotation Toy Warning restant confiné à un public avertit et fidèle. Mais avec ce grand et beau chef-d'oeuvre qu'est Bluffer's Guide, on avait il est vrai osé espérer un peu plus de reconnaissance tout de même. Pas grave. Les gens redécouvriront ça dans 50 ans et se rendront compte de leur erreur.

Donald Pleasance

Happy 13

Popstar Researching Oblivion


6. Sufjan Stevens - Illinoise


Quel album! Certainement l'une des oeuvres les plus "intelligentes" de l'histoire de la pop music. On connaît à l'époque le projet fou et mégalo de Sufjan Stevens : 1 album par Etat des Etats-Unis. Du grand n'importe quoi. On sait ce qui suivra : l'aveu d'échec, le doute, la dépression, la folie, l'album The Age Of Adz. N'empêche que sur cet album précis, Sufjan a réussit à capturer toute l'histoire, la culture, l'essence et l'atmosphère de l'Illinois. Il faut dire que l'homme ne lésine pas sur les moyens (orchestre à cuivres et à cordes à disposition, chorale, références historiques innombrables,...) ni sur le talent : les mélodies sont régulièrement magnifiques, parfois incroyablement touchantes (comme sur la très personnelle Casimir Pulaski Day, écrite à coeur ouvert) et le tout est sublimement emballé (production orchestrale sublime sur la féérique Chicago, discrète et essentielle sur la fascinante John Wayne Gacy Jr.). Un très grand disque sur lequel on peut revenir des centaines de fois en y trouvant toujours quelque chose pour se réjouir.

Chicago

Casimir Pulaski Day

John Wayne Gacy Jr.


7. The White Stripes - White Blood Cells


Il est intéressant de constater à quel point le public et la critique ont quelque peu retournés leurs vestes à propos des White Stripes. Acclamés comme les messies à la sortie d'Elephant, couronnés rois du rock, applaudis pour leur éthique punk et "less is more", considérés comme les sauveurs du vrai rock'n'roll, celui des Stooges, celui qui vient du blues, remplissant des stades en un clin d'oeil par la foi d'un tube interplanétaire (le fameux Seven Nation Army), les White Stripes étaient alors partout. Aujourd'hui, on peine à trouver cet album dans les tops des différents magazines définissant la hype musicale. Les gens ont retenus le premier Arcade Fire et le premier Strokes et ont oubliés les White Stripes on dirait. Trop entendus. Pourtant, avant même de sortir Elephant, Jack & Meg White avaient publiés un album atomique répondant au doux nom de White Blood Cells. Ce n'est ni l'album fondateur, ni celui de la consécration, mais c'est bien celui où les chansons sont les meilleures. De la renversante et furieuse Fell In Love With A Girl, à la sublime ballade We're Going To Be Friends, en passant par la réjouissante Hotel Yorba, les Stripes fusionnaient avec force et talent blues vicieux, punk-rock incendiaire et mélodies pop. Et repassaient alors le message à toute une génération : "Do it yourself, guys...".

Fell In Love With A Girl

We're Going To Be Friends

Hotel Yorba


8. Sparklehorse - Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain


Le quatrième et dernier vrai album de Sparklehorse ne déroge pas à la règle : c'est un disque extraordinairement beau et cohérent. Sa gestation fut longue et incroyablement difficile, Mark Linkous traversant notamment une longue dépression, résultat de la mort de plusieurs amis proches, mais le résultat en valait définitivement la peine. Aidé de Danger Mouse à la production, Linkous excelle comme d'habitude dans les mélodies Beatlessiennes sublimes (voir les radieuses Some Sweet Day et Don't Take My Sunshine Away) et les ballades mortifères impériales (voir la très sombre Return To Me, chantée avec une douleur insondable). Sur Morning Hollow, il parvient même à nous faire planer comme rarement, avant de nous réveiller violemment avec It's Not So Hard... Comme dans la vie, les rêves ne durent pas éternellement, et le retour à la réalité est souvent dur et impitoyable. Rarement en tout cas un groupe aura saisit aussi bien toute l'ambivalence de la vie que Sparklehorse tout au long de ses albums immaculés.

Some Sweet Day

Please Don't Take My Sunshine Away

Morning Hollow


9. Bon Iver - For Emma, Forever Ago


L'histoire de la conception de cet album est connue de tous : Justin Vernon sort d'une relation amoureuse compliquée et passionnelle, et part se réfugier seul dans une cabane paumée dans les bois du Wisconsin. Très bien. Voilà pour le décor, ou le folklore, c'est selon. Pour ce qui est de la musique, les chansons, souvent très tristes et intenses, sont des réminiscences des plus grands moments de Nick Drake, Townes Van Zandt, Neil Young, Will Oldham ou Bob Dylan. Un folk épuré, mélodiquement impeccable, avec cette voix haut perchée de Vernon qui parvient à titiller les sentiments les plus enfouis au fond de nos coeurs de pierre. For Emma, Forever Ago contient au final parmi les plus belles et les plus intenses complaintes du XXIème siècle... Un disque au pouvoir émotionnel impressionnant, à écouter avec précaution.

Skinny Love

The Wolves (Act I & II)

Flume


10. Devendra Banhart - Cripple Crow


Rarement une contre-réaction n'aura été aussi violente que celle concernant la hype qui visait Devendra Banhart. Considéré par tout les biens-pensants du rock indé comme une fumisterie bobo ridicule, comme un clown hippie-bourgeois sans talent, Devendra Banhart n'a eu de cesse d'être méprisé, piétiné et jeté aux ordures par toute cette foule haineuse qui semble s'être arrêtée à l'un des seuls tubes de l'artiste, reprise dans une pub pour voiture : I Feel Just Like A Child. Pourtant si ces abrutis avaient bien voulu aller plus loin, ils auraient découvert un songwriter extrêmement talentueux, qui avait auparavant déjà publié plusieurs albums folk de très haute facture, qui rappelait joyeusement Nick Drake, John Renbourn ou Bert Jansch (ce dernier étant même un grand fan du bonhomme). Sur ce Cripple Crow, le Sergent Pepper de Banhart, notre barbu préféré fait preuve d'une créativité sans limite, qui va de la folk-pop la plus ensoleillée, très Summer Of Love, de How's About Telling A Story ou de Some People Ride The Wave, aux chansons à l'influence latine très marquée (Santa Maria de La Feira, qui peut rappeler Caetano Veloso, une idole de Banhart (preuve implacable de bon goût)), en passant par des complaintes aériennes et rêveuses, comme ce Hey Mama Wolf divin ou l'amusant et réjouissant Chinese Children. Infiniment plus beau et malin que ce que les mauvaises langues peuvent dire : un très très grand album.

Hey Mama Wolf

Now That I Know

How's About Telling A Story


11. Jeffrey Lewis - 'Em Are I


D'après Jarvis Cocker en personne, le meilleur songwriter d'Amérique actuellement. Rien que ça. Et le pire c'est qu'il est difficile de ne pas être d'accord avec le grand Jarvis.
On disait du Dylan dans ses jeunes années qu'il avait ce talent pour "exprimer à la perfection ce que tout le monde pensait mais n'arrivait pas à dire". Avec Jeffrey Lewis c'est exactement la même chose. Certes les sujets de prédilection de l'un et de l'autre sont bien différents, mais la comparaison est pertinente je trouve. Quand il entonne "If Life Exists", on a l'impression que le bonhomme parvient à nous résumer la vie en une chanson, au grès de plusieurs "killing lines", comme celle-ci : "It's all easier said than done, and it's not even easy to say".
Lewis a aussi beaucoup emprunté à Daniel Johnston et à la scène antifolk naissante à laquelle il a été vite associé. Il y a chez lui cette honnêteté brute, cet humour doux-amer, ces petites chroniques urbaines... En plus d'être un virtuose des mots, Lewis déroule ses textes sur des tapis mélodiques admirables, et parvient à nous émouvoir plus que de raison.

Roll Bus Roll

Broken, Broken, Broken Heart

If Life Exists


12. The Libertines - The Libertines


Can't Stand Me Now

What Became Of The Likely Lads


13. Grandaddy - Sophtware Slump


He's Simple, He's Dumb, He's The Pilot

Crystal Lake


14. The Brian Jonestown Massacre - My Bloody Underground


Bring Me The Head Of Paul McCartney On Heather Mills Wooden Peg (Dropping Bombs On The White House)

We Are The Niggers Of The World


15. The Flaming Lips - Yoshimi Battles The Pink Robots


Do You Realize

Yoshimi Battles The Pink Robots


16. Yo La Tengo - And Then Nothing Turned Itself Inside Out


Our Way To Fall

You Can Have It All


17. Girls - Album


Lust For Life

Hellhole Ratrace


18. The Dandy Warhols - Thirteen Tales Of Urban Bohemia


Bohemian Like You

Sleep


19. Silver Jews - Tanglewood Numbers


Punks In The Beerlight

Sleeping Is The Only Love


20. Dinosaur Jr - Farm


Over It

Plans


Et puis on aurait aussi pu citer : Eels, The Magnetic Fields, Arctic Monkeys, Primal Scream, BRMC, Air, Wilco, Arcade Fire, Radiohead, Beck, Modest Mouse, Jay Reatard, Beirut, Paul Baribeau, RHCP, MGMT, Oasis, Phoenix, Bonnie Prince Billy, Lambchop, Fleet Foxes, Antony & The Johnsons, The XX, Godspeed You! Black Emperor, Vic Chesnutt, Blur, LCD Soundsystem, Adam Green ou The Moldy Peaches.

jeudi 20 octobre 2011

Hip-Hop

Il faut bien l'avouer, ces derniers temps j'ai écouté d'avantage de rap que de rock. Depuis maintenant 3 décennies, le hip-hop a engendré de nombreux mouvements divers et variés, parfois complètement opposés et contradictoires, avec leurs lots de perles underground et de bouses mainstream.

Voilà donc pour y voir plus clair une compilation de choses plutôt intéressantes et pas courantes:

Commençons avec l'un des rois de l'underground Américain, vénéré par d'innombrables jeunes loups, acclamé par la critique, invité sur les plateaux de télévision pour y parler de sujets de société... Le poète, activiste, outspoken artist, acteur, et, of course, rappeur dors et déjà légendaire... Mos Def.
Membre à ses débuts des exceptionnels Black Star avec Talib Kweli, autre génie du rap underground, Mos Def a su imposer par la suite en solo son rap intelligent tout au long de trois albums passionnants, aux instrus à base de samples, de jazz, de soul ou de funk, agrémentés de textes superbes et d'invités bien sentis (J Dilla, Madlib,... on est d'accord).
La chanson ci-dessous est extraite du premier album de Mos Def tout seul, le très très bon Black On Both Sides. Ça s'appelle Mathematics.

Mos Def - Mathematics


Passons maintenant à toute autre chose. On n'est plus aux Etats-Unis, on ne fait plus de critique sociale. On est en Angleterre, un très fort accent cockney à l'appui, et on parle d'une fille rencontrée dans un pub. Rien à voir donc.
Dan Le Sac vs Scroobius Pip, le premier est DJ, le second rappeur. Le flow du dernier est ultra-efficace, tandisque Dan Le Sac balance des instrus tour à tour violentes, apaisées, entraînantes et réfléchies. Checkez moi donc la jouissive This It The Beat That My Heart Skipped :

Dan Le Sac vs Scroobius Pip - The Beat That My Heart Skipped


Encore une fois, rien à voir, et on enchaîne avec Sage Francis. Ultra brillant au niveau de l'écriture, à la limite de la poésie, Sage Francis ouvre son coeur avec une désarmante honnêteté. Très très loin des standards habituels enfermant le rappeur dans d’infernales clichés, Sage a su encapsulé dans sa musique des émotions incroyablement fortes,... Sur son dernier album, le gros rappeur blanc a invité d'illustres collaborateurs pour composer ses instrus, dont le génie absolu de Mark Linkous (Sparklehorse) sur un très beau titre (Love The Lie).
La chanson suivante a été composée en collaboration avec le grand Yann Tiersen, et le degré d'émotion atteint ici est assez incroyable... Beau et fort à en pleurer:

Sage Francis - The Best Of Times


Passons à présent à un groupe qui a été quelque peu éclipsé par ses glorieux collègues du début des années 90, quand le rap était à son apogée... Dans un style proche du Jazz Rap East-Coast, celui de De La Soul ou d'A Tribe Called Quest, The Pharcyde, originaires de LA, avait pourtant quelques singles très accrocheurs, des rappeurs éminemment compétents et un clip réalisé par Spike Jonze... Alors où était le problème? Hé bien peut-être dans le timing : l'époque était tellement débordante de talents que la postérité n'a pas pu retenir 10000 noms.
Dommage, car dans ce registre funky et cool, on n'en connait peu d'aussi bons qu'eux. Seulement, dans les années 90, il y avait aussi Jurassic 5, Roots, Gangstarr, Black Moon, Blackalicious, Common, Stetsasonic, les groupes cités ci-dessus, J Dilla... Et The Pharcyde. Ça faisait beaucoup. Mais ça faisait quand même du beau monde quand y pense...

The Pharcyde - Drop


S'il existe un héros du hip-hop alternatif, c'est bien lui... MF DOOM, le rappeur masqué. Toute une légende. Qui commence avec un sympathique collectif, KMD, qui envoie la sauce comme il faut dès la fin des années 80. D'ailleurs il faut regarder le clip du single Peach Fuzz : la chanson est excellente, et puis c'est une des très rares occasions de voir MF Doom sans son légendaire masque de fer.
L'histoire se poursuit tragiquement puisque le frère de Doom, membre de KMD, meurt écrasé par une voiture en 1993... S'ensuit une longue dépression qui, de 94 à 97, pousse notre héros à se retirer du monde du rap, pour de bon pense-t-on alors. Pendant cette période sombre, Daniel Dumile de son vrai nom vit littéralement dans la rue, dormant sur les bancs, contraint de mendier... De cette expérience va sortir quelque chose de beau et de fort, une inspiration et une vision plus claire que jamais. And the rest is history comme qui dirait.
De très nombreux projets parallèles, des collaborations, des disques à foison sous différents pseudonymes... MF Doom forge alors sa légende, et est très vite considéré comme le plus grand lyricist du rap à avoir jamais foulé cette terre. La musique de Doom est très souvent complexe, déconstruite, à base de samples bizarres, d'extraits de vieux films, de son de trompette ou de saxophone, avec l'imagerie des comics Marvel omniprésente... On a à faire à un univers infiniment riche dans lequel on peut se perdre corps et âme des heures et des jours entiers... Fascinant.

Ci-dessous donc, une super collaboration avec Ghostface Killah, Danger Mouse à la production (un disque entier a été enregistré avec Danger Mouse sous le nom Danger Doom). J'aurais très bien pu en choisir une centaine d'autres, mais bon faut bien commencer quelque part... Voilà une porte d'entrée, à vous de la pousser et d'aller plus loin ensuite... :

Danger Doom - The Mask


Maintenant un morceau relativement récent... Cette collaboration nous avait fait rêver à vrai dire. Les géniaux Black Keys allait collaborer avec des rappeurs triés sur le volet pour un album rock-rap répondant au doux nom de Blackroc. Loin de ressembler à un énième rémunérateur "Walk This Way", les Black Keys ont ici produit une bande-son enivrante et hypnotique laissant toute la liberté aux MC's de s'exprimer. Le résultat? Des morceaux toxiques comme ce Ain't Nothing Like You (Hoochie Coo) contagieux ou le chef-d'oeuvre ci-dessous :

Blackroc - What You Do To Me


Et c'est un autre projet rock-rap qui nous amène à l'artiste qui suit. En effet, le groupe Street Sweeper Social Club réunissait récemment en son sein le guitariste de Rage Against The Machine, le brillant Tom Morello, et le rappeur Boots Riley, du méconnu groupe The Coup.
Ce groupe avait en fait surtout fait parler de lui à cause de la pochette de l'album Party Music : en juin 2011, The Cou fait circuler à la presse le visuel de son prochain album, qui représente Boots et DJ Pam The Funktress au pied du World Trade Center, appuyant sur un bouton faisant exploser les deux tours, un large sourire aux lèvres. Inutile de dire la polémique qui suivra les attentats...
Quoi qu'il en soit, The Coup était un groupe de rap exceptionnel, très politisé (Boots étant communiste), aux instrus aggressives, funky ou jazz, qui fut très injustement ignoré dans les années 90 et 2000 malgré un savoir-faire manifeste...
En témoigne ce Dig It:

The Coup - Dig It

mercredi 12 octobre 2011

Pavement / Stephen Malkmus & The Jicks

Voilà un rapide retour sur la pop jouissive d'un des groupes qui s'est révélé après coup l'un des plus influents des années 90, Pavement, et la trajectoire de l'illuminé à la tête du groupe, Stephen Malkmus, auteur de quelques albums passionnants après la dissolution de la bande à la fin des 90's.

En voilà un beau phénomène à vrai dire. Il faudrait d'abord revenir sur cette reconnaissance assez récente et peu attendue par ses principaux protagonistes : Pavement est à la mode depuis quelques années (merci Pitchfork, entre autres), c'est un fait. Le son Pavement a en fait incroyablement bien vieillit, surtout si on le compare aux inepties grunge ou metal de ses contemporains. L'attirance du groupe pour les mélodies pop et la décontraction lo-fi a fait de nombreux émules et est aujourd'hui reprise en masse par d'innombrables groupes qui revendiquent plus ou moins clairement cet héritage (on pense notamment à toute cette scène surf-pop Californienne fraîchement débarquée).
Ce groupe phénoménal n'a jamais eu le succès qu'il méritait dans les 90's, et comme si le monde cherchait à s'excuser de cette erreur historique, tout le monde semble redécouvrir avec joie ce groupe réjouissant...

Et puis côté comportement, le temps a fait son oeuvre ; Oasis, les Strokes ou les Arctic Monkeys sont passés par là et ont popularisés ce je-m'en-foutisme affiché en règle de vie, sur scène comme dans le civil... L'attitude très "branleur" de Pavement, qui avait quelque peu choquée à l'époque (pourtant pas en reste d'énergumènes du genre (cf.: Lou Barlow, J. Mascis,...)), parait du coup mieux acceptée du public actuel.
Histoire de mieux comprendre de quoi on est entrain de parler, le live de Pavement au Tonight Show en 1994 :

Pavement - Cut Your Hair (Live)


Il faut tout de même rappeller l’accueil plus que glacial réservé à Pavement lors, entre autres, du festival Loolapalooza, cette incompréhension généralisée entre deux mondes qui n'ont rien en commun. D'un côté Nirvana, Sonic Youth ou les Smashing Pumpkins braillant leur "mal-être", leur "anti-conformisme", brandissant très fièrement leurs douleurs de poètes maudits des temps modernes, le tout devant des dizaines de milliers de fans hurlant et bavant devant leurs idoles...
Et puis de l'autre côté Pavement. Un humble groupe indie aux faux airs amateurs, pourtant très compétents dans le troussage de mélodies alambiquées, qui charmaient avec des chansons pop passionnantes, pas prises de têtes pour un sous. Pavement était un groupe de anti-héros, des anti-héros certes très "cools", mais peu préoccupés par leur image et peu enclin à prendre au sérieux quoi que ce soit qui ait un rapport quelconque avec le rock ou la musique en règle générale.

Pavement - Gold Soundz


Pavement - Here


Sur scène, les autres étaient tout de Converse vêtus, les jeans étaient soigneusement déchirés et les attitudes détachées puaient l'artificiel... Ces types n'étaient pas comme nous, ils n'avaient pas l'air normaux, ils avaient l'air de faire des efforts incroyables pour paraitre "originaux", "décalés" ou "alternatifs". Malkmus et ses acolytes, eux, ne faisaient pas semblant, ils ne faisaient aucun effort, ils savaient rire de tout ce cirque et d'eux-mêmes. Ils arrivaient en short sur les plateaux télés, portaient des bobs ridicules et des chemises trop larges...

Tout l'art et la philosophie de Pavement pourraient en fait être résumés par une chanson : leur célèbre Range Life : "Je voudrais une vie rangée...Si je pouvais me poser, je me poserai...". C'est très honnête, et c'est tout l'inverse de cette existence si rock'n'roll promue férocement par Kurt ou Thurston...
Ici on a faire à des types normaux, et c'est hallucinant à quel point ça peut faire du bien de s'identifier à ceux qui chantent pour nous. Et Malkmus de continuer : "En tournée avec les Smashing Pumpkins (...) Je capte pas ce qu'ils veulent dire... Comme si j'en avais quelque chose à foutre". On peut aussi citer la célèbre réplique de Malkmus lors d'un concert de son groupe : "Je n'ai rien contre la musique des Smashing Pumpkins. C'est juste personnel...". Voilà c'est dit. Pavement sont les anti-Smashing Pumpkins. C'est l'anti-grandiloquence. Pavement est la normalité, pas sa glorification, simplement un groupe qui compose des chansons à taille humaine. Regarder des émissions débiles à la télé, admirer un coucher de soleil, rêver de la fille idéale en fumant un joint en cachette... Des choses aussi banales qu'essentielles.

Pavement - Range Life


Pavement - Spit On A Stranger


Mais loin de se résumer à un manifeste idéologique sur le rock, la musique de Pavement était d'un niveau d'écriture incroyable. Stephen Malkmus est un grand compositeur pop, de la race de ceux qui ne viennent que par 3 ou 4 par décennies. "Cut Your Hair", "Gold Soundz", "Spit On A Stranger", "Here", "Shady Lane", "Major Leagues", "Carrot Rope",... On ne compte plus les mélodies intégralement parfaites disséminées par Pavement tout au long de 5 albums passionnants publiés par le groupe dans les années 90. Le monde avait beau passer du grunge à la brit-pop, des boys-bands à la musique techno, les chansons de Pavement restaient égales à elles mêmes : pas identiques, mais toujours authentiques et honnêtes.

Pavement - Shady Lane


Certains prétendent que les deux dernières galettes sont bien inférieures aux 3 ouvrages précédents.. Pas forcément vrai : les derniers albums sont peut-être moins spectaculaires, mais ils sont toujours aussi agréables à écouter que les précédents. Sur Slanted and Enchanted, de 1992, et Crooked Rain, Crooked Rain, datant de 1994 (certainement le meilleur disque du groupe), Pavement alterne la pop indie et le rock alternatif plus bruitiste, les chansons les plus calmes succédant aux rages électriques de Malkmus, qui comme chez les collègues des Pixies, aime casser les ambiances, rendre la copie imparfaite et du coup parfaitement attachante...
Les coups de génies sont légions en même temps : on parle quand même de perfections pop de la trempe de ce Gold Soundz divin... On sent que ces jeunes hommes ont écoutés les Replacement et The Fall, les Pixies et Teenage Fanclub... Les influences sont bonnes, la guitare est distordue juste comme il faut, le son est légèrement lo-fi et laid-back, mais pas trop non plus, et puis il y a cette voix de Stephen Malkmus... Un dérapage contrôlé permanent, quelque chose de jouissif qui tient en équilibre de manière totalement miraculeuse, exactement comme la musique de ce groupe... Un savant équilibre entre le comportement branleur et le réel savoir-faire mélodique, comme l'impression de parvenir à la beauté sans faire aucun effort. Un miracle vous dit-on.

Pavement - Summer Babe


Pavement - Major Leagues


En 1995, un an après l'extrèmement bon Crooked Rain, Pavement sort le double-album Woowee Zoowee, à l'éclectisme désarmant, alliant expérimental, country, hard-rock et pop sans aucune concessions. Désormais entre Beck et Pixies, nos indie rockers favoris publient un grand album, le préféré de certains critiques, surtout en France. On retiendra de ce disque peu de gros singles, mais certains titres fascinants, comme le très aérien Grounded ou l'ultra-cool Grave Architecture.

Pavement - Grounded (Live)


Pavement - Grave Architecture


Et puis, sur Brighten The Corners (1997) et Terror Twilight (1999), l'ensemble est légèrement moins dynamique, mais quelques grandes chansons rappellent que la flamme est encore là, bien lumineuse, comme avec ce Carrot Rope on ne peut plus jouissif.

Pavement - Carrot Rope



En 1999, le groupe se sépare mais Makmus poursuit sa route en solo ou accompagné de son groupe, les Jicks, pour un son et des chansons toujours fidèles à l'esprit Pavement. L'âge venant, les compositions deviennent un peu plus sérieuses, tout comme Malkmus, tout comme les gens normaux avec l'âge... Les albums sont bons et des coups de génies éparses existent encore, comme avec ces deux chansons issues de l'album Real Emotional Trash, publié avec les Jicks en 2008, interprétées ici en live pour la blogothèque. Très charmant... :

Stephen Malkmus - We Can't Help You (Live)


Stephen Malkmus - Hopscotch Willie (Live)


Sur son dernier album, Malkmus ravive encore un peu plus la flamme : publié cette année, ce nouveau disque avec les Jicks, intitulé Mirror Traffic, resplendit comme un bon album des Pavement de la fin des années 90. Ce Tigers rappelle en tout cas de biens beaux souvenirs, ceux d'un groupe jadis largement au dessus de la masse, récemment reformé pour une courte et rémunératrice tournée, et dont le souvenir ne cesse de nous hanter... Pavement, for ever and ever.

Stephen Malkmus & The Jicks - Tigers